Ribeyrenc, d’où tu viens ?
Une famille de vigneron a construit son exploitation viticole au fil du temps et ce depuis 1900 environ : Elysée, Louis et Thierry Navarre se succèdent a Roquebrun dans l'Hérault.
Le grand-père Elysée s’oriente vers la vente directe sans intermédiaire ni coopérative. Ainsi, sur quelques 3 à 4 hectares sont plantés : des Chasselas du cardinal, des Œillades, des muscats, du Terret, du Servant.
Pour le vin rouge : des aramons, du Carignan, de l’Œillade, Ribeyrenc, Grenache ; pour les blancs : muscats d’Alexandrie et muscat petits grains, Servant.
A l’époque du vin de masse produit en quantité, ici on diversifie, on s’adresse au marché du direct avec des vins biens faits et un bon suivi de qualité.
Les années 1950 : mon père Louis succède à Elysée. Il va progressivement abandonner la production de raisin de table pour se consacrer aux vins (suivi, élevage, conditionnement et toujours vente directe).
Les vignes que mon père a plantées sont greffées en place, en sélectionnant avec les vignerons voisins proches ou plus lointains de belles souches dans de belles parcelles. Sélection massale sur place donc. Mon père Louis a le souci de préserver une bonne diversité variétale dans ses vignes : il prend soin de regreffer les anciennes variétés présentes en complantation dans les vignes.
J’ai donc été bercé à cette approche de la viticulture, aux soucis et réussites des greffages de différents cépages, des porte-greffes américains et de leur aptitude aux sols de schistes du terroir qui nous porte. Le savoir-faire du terrain est le premier capital a considérer, ensuite : écoute, observe, pratique.
Lorsque je commence à travailler avec mon père et envisage de devenir à mon tour vigneron, je passe par une école d’agriculture à Pezenas puis à Béziers pour avoir mon BPA (brevet professionnel agricole).
Des plantations de nouvelles vignes s’imposent : les AOC Côteaux du Languedoc puis St-Chinian pointant leur nez pour notre région, nous devons planter des Syrah pour accéder a l’appellation en devenir. Je plante bien sûr avec mon père les premiers Syrah en 1981, la première vigne pour laquelle on achète des greffes soudées (certifiées). Humilité s’impose au vigneron que je souhaite devenir : il faut compléter les savoirs transmis avec les techniques modernes qui arrivent.
Concernant le choix des cépages, la rencontre avec l’éminent professeur de viticulture Daniel Domergue, grand connaisseur des cépages du Languedoc et de leur histoire, conforte mon idée de maintenir la diversité en place, voire de la développer. Le Ribeyrenc il connaît, bien sûr ! Les idées germent : je vais replanter les cépages locaux et surtout le Ribeyrenc. Sortir de l’oubli ce cépage qui en d’autres temps occupait dans les coteaux un quart des surfaces en vignes. S’il y était, ce n’était pas pour rien.
A l’heure de gloire des merlot, chardonnay, sauvignon, et ici que fait t’on de nos anciens cépages !
Ainsi je m’attelle à la tache, collecte des greffons, défriche et épierre la parcelle. De nos vignes, je dispose d’une quinzaine de pieds de Ribeyrenc noir. Afin de compléter la collection, je prélève dans les anciennes vignes où subsistent des Ribeyrencs, avec le concours des anciens vignerons qui le connaissent bien.
1994 : greffe de (ma vigne) sur deux portes greffes R140 et R110. J’obtiens 900 pieds, opération réussie. La plantation est réalisée au carré à 1,70m d’écart pour taille en gobelet et labour croisé au tracteur à chenilles, technique qui s’avère peu coûteuse (pas de frais de palissage métallique si peu esthétique), efficace et ne demande pas l’emploi d’herbicides qui ne sont jamais rentrés chez nous.
An 2000 : première récolte. Le degré affiche 11° vers le 25 septembre ; les raisins sont clairs, gris bleuté, la peau est fine, le goût du fruit subtil. Au cours de la cueillette on prend conscience de la fragilité des raisins à la peau si fine qu’elle s’abîme au moindre toucher. La douceur s’impose dans le travail de récolte. Leçon connue : « Le vin se fait à la vigne avant tout. »
Une fois arrivé en cave, on met délicatement le raisin entier sans foulage dans une petite cuve, avec précaution, un couvercle et beaucoup de bienveillance. Huit jours plus tard, la macération est d'ores et déjà bien avancée, on presse et obtient 4 hl de jus savoureux, fin et léger à 11°. Le vin a une couleur rouge clair. Les tanins sont fins comme dentelles, les arômes floraux suivis de notes de fraises compotées. Tout est tendre dans ce vin. Quelle surprise !
Approche de la vente : on propose aux clients amateurs de vins ou fidèles de la maison, j’explique ma démarche, invite à la dégustation quelques sommeliers avertis. Les critiques sont positives, encouragantes. Cela me conforte dans cette voie pas facile, dans la période où des cuvées de syrah pures et autres vins « body buildés » font la une de toute la presse vinicole, où les médailles des concours se décernent aux vins à forte teneur en alcool, tanins et extractions en tous genres. Au moins une certitude : c’est pas gagné pour le concours !...
Le temps passe. 2007 : le Ribeyrenc, toujours nommé Aspiran dans l'ouvrage de référence de Pierre Galet, fait l’objet de sa réinscription au catalogue sous la demande de vignerons du Minervois, de la famille Domergue et de moi-même. Mes essais « illégaux » servent la démarche. L’Onivins est dans une démarche constructive pour réinscrire le cépage, par ailleurs inscrit dans les cépages complémentaires de l’AOC « Minervois la Livinière », mais oublié du catalogue départemental. Il fait partie du patrimoine régional et de bonnes têtes pensantes le savent. Un comité d’experts veillera à sa réinscription sous l’orthographe « Rivairenc ». L’oubli est réparé !
La vigne de Ribeyrenc s’implante de mieux en mieux. Je lui apporte les soins réguliers, le cépage se plaît dans cette exposition ensoleillée et aride. La vigne est vigoureuse, elle occupe son terrain, son homme aussi. A côté, le Carignan et Grenache donnent des vins de plus en plus forts. Le 15° est presque une moyenne. Mon Ribeyrenc récolté quelques jours plus tard oscille entre 10.5 et 12.8 (en 2003). J’en suis à mon 15ème millésime, toujours autant séduit par la finesse du vin.
La conduite de la vigne ne nécessite pas plus d’attention que les autres (mais pas moins?) : taille courte, fertilisation organique à base de compost ; sulfate de cuivre et soufre en trois passages assurent la récolte. J’ai depuis replanté trois autres vignes de Ribeyrenc noir.
Le conservatoire de l’INRA Vassal m’a fourni en greffons le Rivairenc Blanc.
La vigne et le vin sont prometteurs. L’INRA a prélevé des bois dans ma sélection pour enrichir sa collection et s’emploie à obtenir un clone sain exempt de cournoué.
La description donnée par le professeur Galet dans l’Encyclopédie des Cépages est fort précise . J’y ajouterais, avec sa permission :
- Le cépage doit être planté exclusivement en sols de coteaux arides, bien ensoleillés.
- Il a une très bonne résistance a la sécheresse.
- Il a pour vertu d'offrir fraîcheur au vin, fruit et minéralité, sans excès d’alcool, une trame de tanins souples et fins.
- Là où le sol vous cuit les pieds en été, il métamorphose la chaleur estivale en fraîcheur, la sécheresse en sapidité.
- Il puise sa ressource dans la profondeur de la terre.
- C’est la vigne et le vin du Midi dans sa splendeur.
Comme le chemin s’ouvre au marcheur, je me préoccupe aussi de préserver les Œillades et j’en fait un vin aux arômes floraux, au caractère épicé et légèrement poivré. J’enrichis chaque année le patrimoine de cépages dans mes vignes. Et il y a du boulot pour l’avenir.
Il faut noter une amélioration réglementaire. C’est rare et dû à la pression de l’Europe qui a demandé à la France d’avoir un catalogue national pour ses plants de vignes. Il était jusqu'à peu départemental et donc plus restrictif .
Le Ribeyrenc , L’œillade ne rentre pas dans les cépages des AOP.
Seule la denomination vin de France est autorisée.
De plus la multiplication des plants à la vigne, que je pratique m’exclus de subventions de plantations (il faut du clone certifié).
Les maladies progressent comme jamais dans le vignoble, . Les vignes vivent de moins longtemps ? De nouveaux ravageurs apparaissent a la faveur d’un climat changeant. Si pensée unique et clonage font bon ménage, l'industrialisation normalisée de la production des plants n’est sûrement pas la (seule) bonne réponse aux soucis environnementaux qui se pointent à l’horizon .
La nature a d’autres lois pour se pérenniser. Observons.
Thierry Navarre